La musique, une drogue ?

Je veux vendre des disques. Non, pas me lancer en chanson. Enfin, pas tout de suite. J’aimerais travailler dans une boutique, écrire dans un journal, conseiller les gens. La musique, j’en mange. Vous aussi? Moi, plus que vous. C’est ma drogue. Je me pointe à la boutique, je fais le tour au complet, je regarde le neuf comme le vieux et paf, mon cerveau se brouille. Je me souviens être entré pour le dernier Blonde Redhead et qu’en chemin je me suis arrêté à la section jazz. Comment m’initier à ce style? La compile de l’étiquette Verve? Peut-être. Miles Davis, John Coltrane? Trop évident. Il me semble que Madlib a déjà échantillonné un artiste sur Blue Note. Parlant de DJ, je devrais peut-être opter pour un truc rap ou électro. Plus tard. Où en étais-je? Ha oui, Blonde Redhead. Je l’ai dans les mains. Inutile de retourner fouiller dans les B et risquer de voir que le deuxième de Beck qui me manque est disponible. Je rentre chez moi avec Blonde Redhead et le deuxième de Beck, comme prévu.

J’injecte la galette dans le lecteur. Dès les premières notes, les effets se font sentir. Je pense à tout et rien en même temps. Le voyage commence. La chanteuse a une voix incroyable, la pochette est ordinaire. J’écoute les paroles en me disant que la cinquième reflète exactement ce que je vis en ce moment. J’espère qu’elle ne sera pas bousillée par une mauvaise musique. Tiens, y’a du tabla dans cette chanson là? Cool. J’aime les instruments variés. Le gars chante moins bien que la fille. J’ai manqué la cinquième chanson. La pochette ordinaire est devenue laide, d’une laideur obsédante. La musique que j’écoutais est devenu un bruit de fond. Foutue pochette. Je me demande vraiment de quoi a l’air la cinquième chanson.

La musique a deux avantages majeurs sur ses concurrents : c’est une drogue qu’on trouve pratiquement partout et de façon légale, sauf si on grave des mp3. Avantage suprême : une fois consommée, elle reste! Génial non? On peut donc se prendre une dose chaque fois qu’on le désire, chaque fois que le manque se fait sentir. Revivre les sensations qu’on a vécu en l’écoutant, se rappeler une fille qui nous a dit aimer la même chose. Faire un voyage une deuxième, troisième fois sans se soucier des valises, des portes, de l’essence. Pendant une soixantaine de minute, je vois un clown s’enfarger, l’apocalypse arriver, des gens qui ont peur courir partout, une fleur qui pousse au ralenti. La caméra plonge sous terre, filme la base de la fleur où un gnome est en train de l’arroser. Il y a le soleil, une tempête tropicale. Un camion pris dans le trafic, des gens qui font le commerce de je n’arrive à voir quoi. Une fourmi me demande si le train passe bien à 8h15. Très important que ce soit 8h15. Le disque est fini. Je suis de retour chez moi. Je n’ai pas de marque physique. Selon le disque, je me sens mieux ou moins bien qu’avant. Même la déprime d’un disque s’avère positive avec le temps.

Dans la pire solitude, quelqu’un, quelque part, vit la même chose. A pris le temps de trouver les mots, les sons, l’ambiance qui l’habitent. En a fait une chanson. Dès lors, la question la plus intemporelle au monde trouve sa réponse : non, nous ne sommes pas seuls dans l’univers.